Quelles sanctions en cas de conflits d’intérêts ?

S’il n’est pas un délit pénal en soi, la situation de conflit d’intérêts peut avoir des conséquences désastreuses pour une organisation publique ou privée : perte de réputation, rupture de confiance, baisse de compétitivité, déséquilibre budgétaire, etc.

C’est pourquoi les comportements préjudiciables qu’il entraîne doivent être sanctionnés. La loi est ferme en matière de prise illégale d’intérêts, de corruption ou de favoritisme. L’entreprise, la collectivité ou l’administration peut aussi agir via des sanctions disciplinaires et une politique de prévention des risques.

Quelles sont les sanctions en cas de conflits d’intérêts et comment les prévenir ? Tour d’horizon et études de cas.

Illustration vectorielle d’une balance de la justice symbolisant les sanctions en cas de conflits d’intérêts dans les entreprises, collectivités et administrations.

Les sanctions juridiques du conflit d’intérêts

Le conflit d’intérêts est une situation dans laquelle un intérêt personnel interfère avec l’intérêt de l’organisation, menaçant l’objectivité, l’impartialité et l’indépendance d’une décision. En soi, le conflit d’intérêts n’est pas un délit pénal. En revanche, la corruption privée et publique, le délit de favoritisme et la prise illégale d’intérêts sont sanctionnés fermement par la loi.

Les sanctions pénales du délit de corruption

Tout agent public reconnu coupable de délit de corruption active ou passive encourt jusqu’à dix ans d’emprisonnement et un million d’euros d’amende. La peine maximale est réduite de moitié dans les cas de corruption privée.

La personne morale (société, collectivité ou administration) peut aussi être poursuivie en cas de corruption active. Le montant de l’amende est égal au quintuple de l’amende des personnes physiques. (articles 435-1 et suivants du Code pénal).

Les mêmes peines s’appliquent au trafic d’influence qui sanctionne l’usage d’une position publique pour influencer une décision en faveur d’intérêts privés (article 433-2 du Code pénal).

Les sanctions s’appliquent à l’auteur responsable de l’infraction mais aussi à ses complices, qu’ils appartiennent à la fonction publique ou à une société privée

Les sanctions pénales de la prise illégale d’intérêts

Le fait pour un élu, un agent public ou une personne privée participant à une mission publique d’obtenir un intérêt dans une société privée dont elle assure la surveillance, l’administration ou le paiement est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 500 000 euros d’amende (article 432-12 du Code pénal).

Les sanctions pénales du délit de favoritisme

La loi prévoit une sanction de deux ans de prison et de 200 000 euros d’amende si un représentant de l’autorité publique (élu, agent public, administrateur,…) octroie un avantage injustifié à une personne ou une société en contournant les règles de liberté d’accès et d’égalité des candidats aux marchés publics (articles 432-14 du Code pénal).

Illustration vectorielle représentant les sanctions juridiques en cas de conflits d’intérêts : Code pénal, peines de prison, amendes et symboles de justice.

Les sanctions disciplinaires du conflit d’intérêts

Les pratiques illégales provoquées par la situation de conflit d’intérêts soumettent l’auteur de l’infraction à un risque de sanction disciplinaire. L’entreprise, la collectivité ou l’administration a le droit de l’appliquer, même en dehors de toute sanction pénale.

Les conséquences juridiques des conflits d’intérêts

Dans le secteur privé, la situation de conflits d’intérêts n’est pas constitutive d’une infraction. Si elle ne peut pas être pénalement sanctionnée, l’entreprise a le droit d’appliquer des sanctions disciplinaires.

La violation du devoir de loyauté est reconnue par la jurisprudence au nom de l’obligation d’exécution « de bonne foi » du contrat de travail, inscrite dans le Code du travail. En découlent par exemple une obligation de non-concurrence ou une obligation de privilégier les intérêts de l’organisation. Plusieurs arrêts de la Cour de cassation rappellent ce principe (Cass. Soc. 12 janvier 2012, n°10-20.600 ; Cass. Com. 15 novembre 2011, n°10-15.049).

Les sanctions doivent être proportionnées à la faute. Elles peuvent aller de l’avertissement au licenciement pour faute grave ou lourde, en passant par la mise à pied disciplinaire avec privation de salaire, la rétrogradation, la mutation ou le licenciement pour faute réelle et sérieuses.

Les sanctions sont clairement écrites dans le règlement intérieur de l’entreprise, et peuvent être reprises dans le code de conduite interne rendu obligatoire dans certaines sociétés par la loi Sapin 2.

Les mesures disciplinaires dans la fonction publique

La fonction publique dispose d’un arsenal de sanctions disciplinaires, réglementées par le Code général de la fonction publique ou CGCT (articles L530-1 à L533-6). La collectivité ou l’administration a le droit de suspendre de ses fonctions tout fonctionnaire auteur d’une faute considérée comme grave avant son passage en conseil de discipline.

Avertissement, blâme, exclusion temporaire, radiation du tableau d’avancement, abaissement d’échelon, rétrogradation, mise à la retraite, révocation : la finesse de l’échelle de sanctions permet de punir le conflit d’intérêts en proportion de sa gravité.

Le CGCT prévoit également des sanctions disciplinaires à l’encontre des élus locaux. Les maires et adjoints peuvent être suspendus ou révoqués avant la fin de leur mandat, en cas de faute grave commise dans l’exercice de ses fonctions ou en dehors.

Études de conflits d’intérêts emblématiques

La France ne manque pas de cas médiatisés de conflits d’intérêts impliquant des entreprises, des collectivités et des administrations. Si les élus et dirigeants sont sévèrement réprimés, les personnes morales sont rarement poursuivies. Pour éviter les risques réputationnels, judiciaires, économiques et financiers, nombre d’entre elles choisissent de signer des accords et de payer des amendes.

Exemples de sanctions dans le secteur privé pour conflits d’intérêts

Dans le cas d’affaires de conflits d’intérêt, nombre de sociétés échappent à la justice en se saisissant de l’outil de justice transactionnelle, créée par la loi Sapin 2. C’est le cas de la société de luxe LVMH qui a accepté de conclure une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP) et de payer une amende de 10 millions d’euros pour mettre fin aux poursuites de trafic d’influence. L’affaire impliquait un ancien directeur de l’ex-DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) reconnu coupable d’avoir sollicité des informations confidentielles au profit de LVMH.

Dans le cadre des marchés truqués d’EDF, la majorité des sociétés poursuivies ont aussi négocié une CIJP et payé des amendes publiques pour éteindre l’action judiciaire.

Depuis la création de cet outil, nombre de sociétés poursuivies pour recel de favoritisme, recel de prise illégale d’intérêts ou corruption choisissent la voie de l’accord, malgré des amendes élevées (société Paprec, Groupe Omnium développement, Bouygues bâtiment, Airbus, et.) L’objectif ? Éviter les poursuites judiciaires publiques préjudiciables à leur réputation (1)

En revanche, la CIJP ne s’applique pas aux dirigeants dont la responsabilité individuelle est engagée et souvent lourdement condamnés.

Illustration vectorielle représentant la justice transactionnelle dans le secteur privé : convention judiciaire d’intérêt public, amendes et sanctions individuelles.

Exemples de sanctions dans le secteur public pour conflits d’intérêts

Les affaires politico-judiciaires défraient régulièrement la chronique. Au vu de la longueur et de la complexité des procédures, beaucoup sont encore dans les tuyaux de la justice. Quelques affaires emblématiques ont cependant vu la condamnation de leurs auteurs. Les sanctions sont souvent assorties de peines d’inéligibilité.

En 2020, François Fillon a été condamné à quatre ans de prison, dont un ferme, pour détournement de fonds publics, abus de biens sociaux et prise illégale d’intérêts, pour avoir attribué un emploi fictif à sa femme en tant qu’assistante parlementaire. Un nouveau procès est ordonné en 2024 par la Cour de cassation pour réexaminer la nature des peines.

L’affaire des sondages de l’Élysée est une autre affaire emblématique de conflits d’intérêt. Elle porte sur des achats d’enquêtes d’opinion sans aucune mise en concurrence, pour un budget de 1,5 million d’euros. Le président du cabinet de sondages n’est autre qu’un conseiller du Président, Patrick Buisson. Les principaux protagonistes sont condamnés à des peines allant de six mois à deux ans de prison avec sursis et des amendes. Les sociétés concernées sont aussi sanctionnées par des amendes de 50 000 à un million d’euros.

Ex-président de la Fédération Française de Rugby, Bernard Laporte a été condamné à deux ans de prison avec sursis et 75 000 euros d’amende pour des faits de corruption passive, de trafic d’influence et de prise illégale d’intérêts. Son délit ? Avoir attribué un contrat d’image à un proche en échange de commissions.

Dans une affaire de marchés truqués au profit de son frère, Jean-Noël Guérini a été condamné à trois ans de prison, dont dix-huit mois fermes et à 30 000 euros d’amende.

D’autres procès moins emblématiques ont vu la condamnation de maires et d’adjoints au maire pour prise illégale d’intérêts et favoritisme dans les marchés publics.

En revanche, les collectivités sont rarement poursuivies en tant que personnes morales. En 2014, une commune a été condamnée à 15 000 euros d’amende pour délit de favoritisme, décision jugée « inédite et atypique ». (2)

Sanctions conflits d'intérêts - Secteur public

Comment prévenir les sanctions pour conflits d’intérêts ?

La justice peut être sévère avec les personnes physiques impliquées dans des conflits d’intérêts. L’entreprise, la collectivité et l’administration sanctionne aussi l’individu. Les sanctions disciplinaires peuvent bouleverser une vie. Éviter les sanctions exige d’éviter les situations de conflits d’intérêts en amont via des outils de prévention et de gestion des risques.

📝 La déclaration d’intérêts et de situation de patrimoine

L’entreprise, la collectivité ou l’administration peut mettre en place une déclaration d’intérêts et de situation de patrimoine obligatoire, avec une campagne de mise à jour annuelle.

La déclaration doit être exigée pour les fonctions les plus sensibles, identifiées dans la cartographie des risques. Rappelons que la loi de 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires rend la déclaration d’intérêts obligatoire pour les agents publics les plus exposés. Mais elle peut être élargie à tous, dans le respect de la vie privée et la protection des données personnelles.

L’utilisation d’un logiciel spécialisé facilite l’auto-déclaration via un formulaire en ligne aux champs personnalisés (liste des fonctions professionnelles et bénévoles passées et en cours, profession du conjoint, intérêts financiers…)

📜 L’établissement de règles

Via son règlement intérieur et/ou son code de conduite interne, l’entreprise, la collectivité ou l’administration peut imposer des règles limitant les conflits d’intérêts, comme l’interdiction d’user des ressources de l’organisation à titre personnel.

Ces documents aident aussi à sensibiliser et former les collaborateurs en décrivant les situations à risques pouvant mener à des conflits d’intérêts, ainsi que les sanctions disciplinaires encourues par les auteurs d’infractions.

🔒 L’encadrement des décisions

Les décisions biaisées par la situation de conflits d’intérêts sont la source des ennuis économiques, financiers, judiciaires et réputationnels de l’organisation. L’entreprise, la collectivité ou l’administration peut limiter ce risque en encadrant la prise de décisions.

Elle peut imposer la décision collective via des règles de validation hiérarchique et de double signature.

🧑‍⚖️ Le comité éthique et le référent déontologue

Dans la fonction publique, la nomination d’un référent déontologue dans les collectivités et administrations a été actée par la loi de 2016 sur la déontologie des fonctionnaires. Il dispose d’une fonction essentiellement de conseil auprès des agents qui le sollicitent pour connaître leurs droits et devoirs ou signaler un risque de conflit d’intérêts. L’administration peut aussi le solliciter pour donner un avis sur le cumul d’activités publiques et privées d’un fonctionnaire ou un départ dans le privé.

Depuis le 1er juin 2023, les collectivités doivent aussi désigner un référent déontologue dédié aux élus locaux.

L’entreprise peut aussi mettre en place un code de déontologie et nommer un comité éthique, de préférence indépendant de la direction pour assurer sa neutralité. Celui-ci peut traiter de toutes les questions éthiques concernant l’entreprise. Il peut être saisi par un collaborateur ou un tiers souhaitant signaler une situation potentielle de conflit d’intérêts. Un système d’alerte, protecteur et discret, favorise la remontée d’informations.

🎓 La sensibilisation et la formation

Éviter un risque est difficile si on ne le connaît pas. La sensibilisation et la formation sont essentielles pour alerter les élus, dirigeants, administrateurs et collaborateurs sur les risques et mécanismes du conflit d’intérêts.

En cas d’infraction commise par un salarié ou d’un agent public, l’existence d’outils de formation et de sensibilisation, ainsi que de documents réglementaires (règlement intérieur, code de conduite interne), aident aussi à prouver la faute et la bonne connaissance des règles par la personne accusée.

Les sanctions prévues par le droit français – qu’elles soient pénales ou disciplinaires – sont sévères et rappellent l’importance d’adopter une conduite éthique et loyale. Si les peines de prison et les amendes peuvent détruire des vies et ébranler la réputation des entreprises, collectivités et administrations, elles ne sont qu’une partie de la solution. Des stratégies de prévention et de gestion des conflits d’intérêts, claires et rigoureuses, garantissent la transparence des décisions et évitent que de simples erreurs de jugement ne se transforment en scandales coûteux. Un respect strict des règles et une vigilance constante sont la meilleure assurance contre des répercussions irréversibles.