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La loi Sapin 2, un tournant dans la lutte contre la corruption en France

  • 14.02.2023

« La corruption est dans l’homme, comme l’eau est dans la mer » dixit Mirabeau, homme politique français du XVIIIème siècle. De tout temps, pouvoir et corruption ont semblé aller de pair. Et dans ce contexte, il a été de nombreux garde-fous : une législation anticorruption foisonnante. Elle trouve ses racines dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 qui reconnaît à chacun le droit de demander compte à tout agent public de son administration.

Quelle place la loi Sapin 2 occupe-t-elle dans cette longue histoire législative anticorruption ? Qu’apporte-t-elle de nouveau à la lutte contre la corruption et le trafic d’influence en France ? Retour sur la lutte française contre la corruption, ses dates clés et les apports de la loi Sapin 2.

1980 -1990 : la corruption publique est au cœur des lois anticorruption

Longtemps, le secteur public a été la cible principale de la lutte anticorruption en France. La loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, ouvre la voie. Elle interdit à tout fonctionnaire de prendre des intérêts dans une société soumise au contrôle de son administration.

En 1988, la loi relative à la transparence de la vie financière de la vie politique s’attaque au financement des partis, dans un contexte où les scandales politico-financiers s’enchaînent. Trois ans plus tard, en 1991, le non-respect des principes de la commande publique est sanctionné par la loi du 3 janvier qui crée le délit de favoritisme.

Mais c’est avec la loi Sapin 1 que la France s’engage plus avant dans la lutte contre la corruption. La loi du 29 janvier 1993, relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, légifère dans plusieurs domaines. Elle vise principalement les collusions entre le secteur public et le secteur privé. Elle marque une rupture avec les anciennes pratiques en réglementant l’achat des espaces publicitaires et l’urbanisme commercial. Elle instaure une procédure de publicité et de mise en concurrence pour l’attribution des délégations de service public (DSP). Et surtout elle crée le Service central de prévention de la corruption (SCPC), au rôle cependant purement informatif.

1990 – 2000 : la lutte contre la corruption s’invite sur la scène internationale

C’est dans les années 1990 que la lutte anticorruption devient un vrai sujet de préoccupation dans les échanges internationaux. Les discussions à l’échelle européenne donnent naissance en 1997 à une convention de l’OCDE dédiée à la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers. En 1999, un code de conduite européen s’impose aux élus locaux et régionaux afin de garantir leur intégrité politique. Mais ce n’est qu’en 2016 qu’est signée la première Déclaration mondiale contre la corruption. Elle conclut le premier sommet international organisé sur ce thème à Londres.

2013 : les moyens nationaux de lutte contre la corruption sont renforcés

C’est dans les années 2000 que la lutte anticorruption se renforce vraiment en France. Cette évolution se traduit en 2013 par la création de trois institutions fondamentales : la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique (HATVP), le Parquet National Financier et l’Office Central de Lutte contre la Corruption et les Infractions Financières et Fiscales (OCLCIFF).

La HATVP a pour mission de prévenir les conflits d’intérêts des élus et hauts fonctionnaires. Depuis 2017, elle encadre également le lobbying. Les deux autres institutions mènent les enquêtes sur les faits de corruption complexes.

2016 : la loi Sapin 2 marque un tournant dans la lutte contre la corruption en France

23 ans après la loi Sapin 1, la loi Sapin 2 est publiée le 9 décembre 2016. Dotée de 169 articles, elle couvre de nombreux domaines avec deux objectifs : agir contre la corruption et renforcer la transparence. C’est une loi qui marque un tournant dans la lutte contre la corruption en France.

Les entreprises rejoignent le combat anticorruption

La principale innovation de la loi Sapin 2 consiste en l’intégration des acteurs économiques à la lutte contre la corruption et le trafic d’influence. Les grandes sociétés se voient contraintes par la loi de déployer un programme interne de prévention et de détection des faits de corruption, de trafic d’influence, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et privés ou de blanchiment d’argent. L’objectif : prévenir et réduire les risques de corruption impliquant des entreprises ou leurs collaborateurs, aussi bien au niveau national qu’international.

La loi Sapin 2 élargit ainsi la lutte à la corruption privée. Elle embarque dirigeants et salariés vers un même objectif : une France exemplaire, aussi bien dans la sphère publique qu’économique.

Concrètement, cela se traduit par le déploiement de huit mesures internes anticorruption dans les sociétés concernées par la loi Sapin 2. Encore appelées piliers, elles consistent en la mise en œuvre d’une cartographie des risques de corruption, d’un code de conduite interne, d’une procédure de signalement des comportements douteux, d’une évaluation de l’intégrité des tiers, d’un dispositif dit de “contrôles comptables”, d’un dispositif de formation, d’un régime disciplinaire et d’un plan d’évaluation continue du programme anticorruption.

Pour permettre à chacun d’agir contre la corruption en toute sécurité et confidentialité, la loi Sapin 2 clarifie le statut de lanceur d’alerte et garantit sa protection.

La France se dote d’outils législatifs modernes

La loi Sapin 2 renforce l’arsenal législatif français. Elle introduit en France un outil issu de la justice américaine et anglo-saxonne, longtemps décrié dans l’Hexagone : la justice transactionnelle.

Elle prend la forme d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). L’objectif : encourager la coopération des entreprises avec la justice pour mieux lutter contre la corruption. En cas de faits de corruption avérés, les entreprises peuvent éviter des poursuites judiciaires longues et coûteuses en s’engageant à payer une amende à l’État et/ou à mettre en œuvre le programme obligatoire de mise en conformité sous le contrôle de l’Agence Française Anticorruption (AFA) et/ou à indemniser les victimes.

Le lobbying est encadré

La loi Sapin 2 répond enfin à une critique de longue date de l’opinion publique française : l’opacité des actions de lobbying. Le texte prend des mesures pour rendre plus transparent le lobbying.

C’est dans la loi Sapin 2 qu’est inscrite l’obligation de recensement des représentants d’intérêt de droit privé (entreprises, associations, syndicats,…) auprès de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique. Aujourd’hui, chaque citoyen peut accéder à la liste des lobbyistes qui agissent auprès de l’État et des élus nationaux pour influer sur une décision publique. Le texte fixe également le cadre de l’exercice des activités de lobbying et clarifie les règles déontologiques, sous le contrôle de l’HATVP.

Une agence de contrôle aux pouvoirs élargis est créée

L’Agence Française Anticorruption (AFA) succède en 2016 au SCPC (Service Central de Prévention de la Corruption), née en 1993 avec la loi Sapin 1 de 1993.

L’AFA est dotée de pouvoirs élargis par rapport au SCPC dont la mission était restreinte à la centralisation d’informations.

L’agence française se voit confier trois missions :

  • Informer et accompagner les entreprises, collectivités et associations dans la définition et le déploiement d’un programme interne anticorruption.
  • Contrôler la mise en œuvre des obligations de la loi Sapin 2.
  • Sanctionner les dirigeants et les entreprises si des manquements à la loi sont constatés lors des contrôles effectués.

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin 2, la législation française anticorruption a continué à s’étoffer. Des lois plus spécifiques ont complété le dispositif. En 2017, la loi pour la confiance dans la vie publique vient renforcer les obligations déontologiques des élus nationaux. En 2019, c’est au tour des règles de déontologie des fonctionnaires d’être consolidées par la loi dans le cadre d’une réforme de la fonction publique. Plus récemment, le 21 mars 2022, la protection des lanceurs d’alerte, garantie par la loi Sapin 2, est confortée par une loi transposant la directive européenne du 23 octobre 2019.

La loi Sapin 2 occupe une place majeure dans la lutte anticorruption en France. Innovante et ambitieuse, de nombreuses années après sa promulgation, c’est toujours aujourd’hui la loi française qui fait référence en matière de lutte contre la corruption en France, mais aussi dans les relations des entreprises à l’international.

Quelles entreprises sont concernées par la loi Sapin 2 ?

La loi Sapin 2 s’applique aux entreprises et établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) français employant au moins 500 salariés et dont le chiffre d’affaires ou le chiffre d’affaires consolidé est supérieur à 100 millions d’euros. Elle concerne également les sociétés appartenant à un groupe dont la maison mère a son siège social en France et dont l’effectif compte au moins 500 collaborateurs. Les présidents, directeurs généraux, gérants et membres du directoire de ces organisations voient leur responsabilité engagée.

Quelles sont les sanctions en cas de non-respect des obligations de la loi Sapin 2 ?

Le contrôle des obligations de la loi Sapin 2 est confié à l’Agence Française Anticorruption (AFA). Si l’agence constate qu’une entreprise manque à ses obligations anticorruption, elle peut émettre des sanctions de trois niveaux :

  • L’avertissement : c’est une première mise en garde adressée aux dirigeants de la société.
  • L’injonction : l’AFA peut exiger de l’entreprise la mise en œuvre des mesures internes anticorruption, en s’appuyant sur les propositions et recommandations issues du contrôle. Le délai de mise en conformité est fixé par l’AFA et ne peut excéder trois ans.
  • La sanction financière : l’AFA peut émettre une amende à l’encontre de la personne physique et/ou morale concernée. Son montant peut atteindre 200 000 euros pour une personne physique et 1 000 000 d’euros pour une personne morale.
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